Textes et poèmes de Mario Ferrisi © 2020

 

Novembre 1954

Quand mes yeux se grisaient des hymnes du dimanche
Sous une arche des cieux se perdaient mes tourments
Pour ce pays de gloire naissaient mille romances
Savamment constellées de rêves et d'illusions

Cette terre turbulente où le sort m'a fait naître
Offrait un ciel cireux où germait la tourmente
Elle préparait le deuil d'une main fastueuse
En changeant l'or en bronze et l'Eden en enfer

Son céleste rivage observait ma défiance
Avec les bras ouverts, avec haine, sans remords
Il narguait ma candeur et un jeu destructeur
Préparait l'infamie par un piteux destin

Des monstres scélérats, hurlants, vociférant
Dispensaient sans compter l'écume de la haine
A l'enfant que j'étais, énivré de soleil
Ils annonçaient l'exil assorti de blasphèmes

Comme un tendre oiselet qui tremble et qui vacille
Avec un cœur flétri comme un vieux ciel d'automne
J'écoutais, frémissant, l'échafaud qu'on batît
Un bruit mystérieux... sonnant comme un départ

 

 

Equinoxe

Quand l'Autan vient huer l'épillet du roseau
Quand la roche veut braver la foudre et les tonnerres
Quand le ciel flamboyant s'abandonne en lambeaux
Que l'abeille harassée abolit l'ouvrière

Quand l'air vient dérober les galantes arômes
Là où s'enflent et s'installent les fatales fumées
Quand l'espace embrasé, émouvant se déforme
Comme le flot furieux sur une mer agitée

Quand au déclin rougit la morose feuillée
Brûlée de l'intérieur, suspendue interdite
Quand le soleil grincheux ne veut plus festoyer
Qu'il corrompt à l'envie les autres satellites

Je vois poindre au lointain une métamorphose
Après le crépuscule, une aube novatrice
Apprêtant les consciences, couvrant toutes les choses
Initiation nouvelle, sublime et fondatrice


 

Razès

Lorsque enfin sur son front cessa l'esprit impur
Des villes et des fureurs aux préjugés vulgaires
Il perçut l'horizon de calme et de mystère
Près des futaies ombreuses où sied la rêverie

Il vit depuis ce temps, librement, sans contrainte
Loin du souffle imposteur qui courbe les humains
Loin des flots incendiaires, des principes, des valeurs
Des promiscuités viles, des cris des opprimés

Il trouva sous ce ciel sa force originelle
L'esprit des premiers temps où il vivait heureux
Les clairs matins d'espoir qui menaient au printemps
L'espérance sereine qui guidait son chemin

La paix dans ce Razès aux vignes impériales
Illumine son âme de son soleil de gloire
Son cœur las d'en découdre, s'émeut et se ranime
Etonnement muet devant tant de splendeurs

Ce suprême idéal devient destin propice
Qu'il écoute à souhait... murmure de l'infini
Couronné de verdure, c'est ici qu'il respire
Parmi le tourbillon plein de métamorphoses...


 

Le vent du temps

Le vent du temps est un tyran, il veut m'arracher la mémoire
De quels pêcheurs suis-je l'enfant  ? quel bric-à-brac est mon histoire  ?
Mon sablier coule ses heures au rythme d'un violent fontis
Mes printemps filent à cent à l'heure pour me traîner vers les abysses...

Le vent du temps écrit mon âge sur tous les murs de mon destin
Il parle de moi aux nuages, à toutes les novas du coin
Pour lui, ma plume est défraichie, mon oriflamme est bien flétrie
De mes moody blues il sourit et bafoue mes rimes au whisky...

Ce vent du temps me fait tanguer lorsque je surfe à vos côtés
J'ai peur de ne plus voir la mer, les dunes, la méditerrannée
Je crois qu'elle était près d'Alger, mais je ne peux plus le jurer
Je crois aussi qu'elle m'a trahi, ça... je ne veux plus en parler

Le vent du temps me rit au nez, il voit que je fais ma valise
D'autan il devient alizé et m'aide à plier mes chemises
J'ai triste mine, il le voit bien, ça n'a pas l'air de l'émouvoir
Il m'ébouriffe avec ses mains et me ventile un «  au revoir  »

Le vent du temps a des remords, il va perdre un ami intime
Il pense à nos anciens transports, mes blés en herbe, mes jeunes rimes
Alors dans un élan rustaud, il me file un peu d'énergie
Il redevient Dieu Sirocco... et m'accorde un nouveau sursis


 

Ma mer...

Ma mer m'a dit un jour, méfies-toi des sirènes
Elles font des queues d'poisson, lorsqu'elles sont au volant
Ne fais pas comme Ulysse snobant ces nymphéennes
Vas pas te fracasser sur les hauts-fonds brisants

Ma mer m'a dit un jour, j'ai la vue qui bafouille
C'est le grand smog de Londres, j'peux plus voir mes orteils
J'vais dire à l'ophtalmo  : j'peux plus faire ma tambouille
J'ai l'bouillon pollué, j'n'suis plus qu'une poubelle

Ma mer m'a dit un jour, j'vois trop d'bateaux passer
Elle dit que c'est assez pour les pov'cétacés
Elle dit même que les plages n'ont qu'des drapeaux violets
Et des déchets flottants qui lui chatouillent les pieds

Elle dit que c'est fini le temps des grandes eaux
Le temps où les mérous pouvaient faire des moufflets
Le temps où les dauphins pouvaient serrer nos pognes
Où la tronche des homards mettait en appétence

Alors amis fadas  ? On arrête les cagades  ?
Faut poubeller géant, ratisser la planète
Aspirer nos gerbages, nos cannettes en balade
Redonner à ma mer sa tronche guillerette...


 

Ma plume

Ma plume, désabusée, a cessé de flotter
Elle ne veut plus rêver du temps où j'étais mioche
J'ai relu le feuillet où dormait ma pensée
Je l'ai plié en quatre et glissé dans ma poche

J'enferme les instants de ce miroir mouvant
Qui pose sur mon front des boucles juvéniles
Tous les jardins célestes, transports d'adolescent
Les sourires ingénus fleurant la chlorophylle

Ma plume en quarantaine, de son encre est privée
Elle ne peut plus graver quelqu'émotions d'avril
Toutes ces ritournelles qu'elle confiait au papier
Les billets doux d'antan, le son des vieux vinyls

Elle m'a bien pris au mot pour faire son coup d'état
Pour mettre à la Bastille les plaisirs démodés
Finie les chansonnettes, les vieux prêchiprêchas
Finis les frissons d'âme de ces temps reculés

Ma plume est dure à cuire, mais pour combien de temps 
Pourra-t-elle se soustraire à mon esprit hutin  ?
De son combat sans fin, elle sort en s'inclinant
… redevient plus servile, retrace... des mots anciens


 

Musique  !

Dans mon esprit flâneur, chaque jour, à chaque heure
Y'a quelqu'un qui fredonne des airs sans maquillage
Des arias de poète, billets de pourfendeur
Accents faramineux, harmonies sans truquage

Dans ma tanière à sons, y'a toujours un croqu'notes
Qui me tire les oreilles pour louer son couplet
Sa salade de saison, son tout dernier foxtrot
La pluie sur sa guitare, son blues désaccordé

Le bastringue a pris place tout près de l'encéphale
Pour faire de mes journées des fievres de sam'di soir
Pour tracer à la craie une partition d'étoiles
Sur mon tableau branché au raffut des guitares

J'nai rien à dire à ça, sous le ciel de Knopfler
Sous les toits de Ferré, des chansons de Renaud
J'nai rien à dire à cà, j'veux pas partir ailleurs
J'n'veux que d'la musique, d'la musique et des mots...


 

Nostalgie

J'ai des lambeaux de vers qui traînent dans ma tête
Des pensées étiolées qui peuplaient mes vingt ans
Des sonnets ingénus, des stances de poète
Pour l'autre destinée au regard attachant

J'ai des entrains blessés d'un amour sans rivage
Des rêves interdits et des ardeurs secrètes
Un impossible espoir, une flamme sans âge
Qui brûle doucement et aguiche ma tête

J'ai encore des couleurs, des bouquets de printemps
Des rêves défaillis, des ombres déclinées
De candides promesses emportées par l'Autan
Lorsque la nuit pâlit sur mon front embrumé

J'ai des lambeaux de vers qui errent dans ma tête
En cette heure où l'automne tient l'hiver en suspens
Mais un air doux, flottant, comme un hymne de fête
Rappelle avec ferveur les grâces du présent


 

Ciel rouge

A l'horizon du ciel des grands soirs de juillet
Le soleil dégurgite ses ripailles sanglantes
Dans un élan ultime de prévôt justicier
Il meurt sous les bravos en flammes aveuglantes

Il lui tardait sans doute d'étouffer son brasier
Pour ne plus éclairer ce monde de misère
Où s'exalte le crime, les cités dépravées
La plèbe nauséeuse aux furies incendiaires

Où les flots d'abatteurs déciment les grands bois
Et jettent l'épouvante aux arbres des forets
Où le noble décor du glacier d'Alaska
Craint d'être dépouillé du charme et de l'attrait

Ce soir, l'incandescent dramatise l'alpage
Les ramiers médusés acclament la manœuvre
Ils sont les plus ardents à fêter ce tapage
Et saluent la magie flamboyante de l'oeuvre

Mais le front impérieux de l'astre paradeur
Reviendra dès demain, colosse gigantesque
Pour féconder l'espace d'une auguste splendeur
Et inonder d'aurores les beautés pittoresques


 

L'algérois

Il a perdu ses rires aux rayons du soleil
Qui écrasait sa terre et le sable des baies
De grosses nuées grises envahissait son ciel
Et la mer déchainée ne cessait de gronder

Il était algérois, dans une autre patrie
Il aimait le refrain de sa belle existence
Les parties de surprises étaient sa poésie
Les jeux et la passion étaient dans sa séquence

Alger était pour lui, un beau jardin de roses
Avec plein de clichés qu'il n'oublierai jamais
Il croyait au destin, aux belles apothéoses
Que ses rires aux éclats... seraient d'éternité

Il s'arrima pourtant aux sons de l'espérance
Priant à l'Angelus... rester en Algérie
Mais l'aube, désormais, avait un goût de rance
Au lit du désarroi, allait rouler sa vie

Aujourd'hui, son visage, barbouillé de pudeur
Se retourne parfois, avec des yeux d'enfant
Il revoit ses amis, ses frères et ses sœurs
Les couleurs du bonheur juste avant le tourment

Il vit son autre vie, ses vers à moitié pleins
Traînant ses embarras et ses amas de joies
Jetant sa nostalgie tout au long du chemin
Semblant rester serein... jusqu'au jour du trépas

 

 

Septembre

Ma fenêtre découpe un couchant de septembre
Deux arbres échevelés secoués par l'autan
Ils marbrent un firmament de barbilles diffuses
D'une beauté cuivrée qui enchante mes yeux

Je vois sur un massif un joyau solitaire
Un croquis étonnant, un cadre sans rival
Une légende ambrée qui a perdu ses ailes
Un reflet immortel, halo de Gatimel

Avant les tournesols et les flots de la route
Un saule pleure en silence sous les rayons de plomb
Sur son front hiératique, penchent ses longs cheveux
Qui épousent en concert le ronron des roseaux

Tous ces attachements me paraissent grandioses  :
L'automne au front fiévreux charrie le crépuscule
Il trouble la langueur des oiseaux solitaires
Et toutes les chimères si chères à leurs desseins

Ma fenêtre découpe un couchant de septembre
Qui a vu plein d'étés s'évanouir comme un rêve
Elle va me raconter, me dire une autre histoire
Au son des beaux accords qu'entonnera la vigne...