poesie_mario_ferrisi
270 poèmes

A l’heure où je vous parle

A l’heure où je vous parle, ils ont la mine grise
Un crâne nu intégral, des yeux qui s’amenuisent
Scotchés, j’les vois d’ici, au poste, pour Koh Lanta
Lisant un Marc Levy, Musso ou Gavalda

Ils sont parfois voûtés, bardés de solitudes
Survivant entre amis, esclaves de l’habitude
D’autres un peu plus gaillards, font dans le«Compostelle »
lIs se joignent aux fêtards et dansent la tarentelle

lls sont dans l’incertaine, peut-être entre deux âges
Passé la soixantaine, on dit le troisième âge
Tous oeuvrent humanitaire, pour aider la famille
Pour les cautions bancaires et les petites resquilles

Tout ça, c’est de bon cœur, comme qui dirait cadeau
Pour ce petit bonheur, ils sont toujours dispos
Et le bonheur plus grand, qui meuble chaque instant 
Les ouailles des vétérans, leurs chers petits-enfants

A l’heure où je vous parle, j’observe les images
Clichés couleur sépia, noir et blanc d’un autre âge
Quelques photos de classe, des noms qui me reviennent
Mes copains les bidasses et la guerre algérienne

A l’heure où je vous parle, je les retrouve parfoisIIls ont la soixantaine et un peu plus… ma foi
Ils dynamisent l’espace d’un bel effet hardi
E n vous montrant la lune, le jour en plein midi…

Mais ont-ils tant changé, mes amis les potaches
Avec leur air rangé, sourire dans la moustache ?
Car je vois reverdir leur beau regard d’enfants
Qui rappellent les hymnes et les parfums d’antan

270 poèmes

Agenda d’été

Se lever en retard, narguer son vieux réveil,
Chauffer son café noir dans un demi-sommeil,
Regarder les infos, toujours du bla-bla-bla !
Etouffer des gros mots, zapper le brouhaha,

Errer la tête en l’air, telle une bulle de savon,
User le rocking-chair, tout frais, comme un gardon,
Murer l’ordinateur, tant pis pour l’écriture,
Arrêter le compteur, dégonfler la voilure,

Boire un verre de Porto, déguster un melon,
Se gaver de tourteaux, piquer un roupillon,
Aller à Décathlon, s’équiper pour la pêche,
Passer au bar l’Aiglon, siffler une bière fraîche,

Aller au Festival, voir Dom Juan de Molière,
Près du château comtal, avec Francis Huster,
Mettre un panama blanc et une chemise en soie,
Prévoir un cardigan car il pourrait faire froid,

Prendre la rue piétonne, à une heure du matin,
Manger des crêpes bretonnes, en faire un vrai festin,
Exhaler des soupirs, dire quelques balivernes,
La faire mourir de rire, finir à la Taverne…

Partir le lendemain, arriver à Collioure,
Plonger en sous-marin, faire encore de l’humour,
Lorgner une catalane, commander des pizzas,
Ecouter une Sardane, songer au pastaga…

S’éveiller aux aurores, franchir à fond la passe,
E n s’éloignant du port pour traquer la rascasse,
Se mettre en embuscade puis balancer les lignes,
Sortir quelques dorades et des pageots insignes,

Avoir un peu de spleen, car c’est l’heure de rentrer,
Se mettre à la cuisine, la plancha pour griller,
Faire ripaille « maison », se dire qu’on est heureux,
Savourer ses poissons, faire la nique aux envieux.

270 poèmes

C’est ainsi

Un air d’harmonica qui diffuse sa plainte,
Qui sur fond de banjo offre un bout de son cœur,
Le jazz de Galliano qui pousse sa complainte
La guitare érigée qui me crie sa fureur,

Ce plaisir sous mes yeux lorsque ma main chamboule
Les couleurs d’un tableau d’un monde qui s’écroule
Les formes que je trace, des tortures, un émoi
A quoi bon le nier ? tout ceci, c’est bien moi !

Ces fables que j’écris comme on fait une esclandre
Ces livres interdits que l’on n’ose pas vendre
Ces idées farfelues, ces délires enchantés
Ces révoltes exquises et ces demeures hantées

Ces hommes qui cheminent et qui tuent mes romans
Ces femmes qui dominent et qui tuent mes écrans
Ces armes qui s’affûtent au fond de mon jardin
Ces larmes qui chahutent et brouillent mon destin

Et toujours la musique qui sacre ma journée
Et toujours le soupir d’un pinceau carminé
Et toujours la nature éphémère, éternelle
Dont le charme invincible m’emporte et m’interpelle

Ce sont là mes frissons étranges et infinis
Ces gros maux incurables, dis en catimini
Des mots que je transcende en sublimant l’orage
Des flots de poésie qui submergent ma rage

100 poèmes

Terre d'Aude

Un chemin sinueux rampant sous les feuillages
Des gravillons qui crient sous des pas solitaires
Un ruisseau clandestin soulignant un bocage
Un fastueux jardin au charme séculaire

Une jolie fontaine troublant des eaux captives
Les véhéments caprices d’Achilleas vivaces
Une flore farouche aux couleurs agressives
Un massif de roseaux affleurant les terrasses

Quatre sphinx écaillés par la lèpre du temps
L’adonis sur un socle encombré par un lierre
Quelques vases d’Anduze colorés d’Occitan
Des balustres parant un escalier en pierre

Deux petits noms gravés dans l’écorce d’un chêne
Encore tout imprégné de senteurs juvéniles
Un petit roitelet… huppé qui entre en scène
Le bec en bas, pointu, pétillant et agile

Un massif d’anémones où rêve le printemps
Une brise qui prend les odeurs dévoilées
Un soleil qui essuie les plumes d’un faisan
Dont la crête frétille un rien émoustillée

Une glèbe de braise, sauvageonne aux pieds nus
Une galante avide que le temps éperonne
Ses somptueux desseins dont rien n’est convenu,
Une terre insensée, adorable et friponne...